Gare aux dérives du business du zéro déchet !

Le zéro déchet est à la mode, et c’est tant mieux ! Mais la rigueur est de mise, nous pouvons paradoxalement être poussés à acheter des objets produisant eux-mêmes des déchets ou qui sont fortement consommateurs en ressources neuves. Décryptage avec Laura Frouin, chargée de projet au sein de l’association Zero Waste France*[1]**.

Corps de l’article

Q : Bonjour Laura ! Commençons par un état des lieux : combien de personnes pratiquent le zéro déchet en France, quelle est la tendance ?

Bonjour ! Il n’y a pas encore d’études sur le sujet, toutefois, on a observé un réel engouement depuis 2016-2017 pour le zéro déchet, notamment grâce à des livres qui ont eu beaucoup d’écho, comme celui de Béa Johnson[2], et grâce à l’essor des magasins en vrac. Cela a mis en lumière un mode de vie qui existait déjà.

Aujourd’hui, tout le monde ou presque sait ce qu’est le zéro déchet, et beaucoup de personnes le pratiquent à différents niveaux, par exemple en achetant des vêtements de seconde main.

Q : Peut-on dire qu'il y a désormais une mode, ou un business du zéro déchet ?

Pour bien comprendre, revenons sur la définition du zéro déchet. Le zéro déchet, c’est la pyramide des 5R. La priorité, c’est de refuser, en se demandant si on a vraiment besoin d’un objet. Ensuite, il s’agit de réduire, de n’acheter que le nécessaire et d’éviter le gaspillage, puis de réutiliser, en favorisant la seconde main, la location, le don, à l’achat neuf. Enfin, il s’agit de recycler et de rendre à la terre – composter.

©️ Natasha A. pour Zero Waste Paris[3]

A partir de cette définition, le zéro déchet consiste avant tout à refuser l’achat d’objets neufs et à usage unique. Certains peuvent s’avérer très pratiques, comme les tupperwares et les culottes de règles. Si l’on est incités à renouveler des objets zéro déchet, parce que c’est beau ou à la mode, alors l’ADN du zéro déchet est perdue, et il y a effectivement une dérive.

Q : Quels sont les exemples phares de cette dérive ?

Parmi les exemples les plus emblématiques, on trouve les tote bags, les gourdes et les gobelets. ****J’insiste sur le fait que ces trois objets sont, dans le principe, de bonnes idées, à condition qu’on n’en ait pas 36 et qu’on les réutilise vraiment !

C’est ainsi toujours un peu la folie des tote bags : tous les évènements et entreprises veulent leur tote bag logoté. Or, le tote bag a un impact environnemental beaucoup plus important que le sac plastique. Fabriqué à partir de coton, il est très consommateur en eau et souvent produit à l’autre bout de la planète. D’après l’Agence danoise de l’Environnement[4], il faut au moins 149 utilisations d’un tote bag pour qu’il ait un meilleur bilan carbone qu’un sac plastique, et entre 7 000 et 20 000 utilisations pour un meilleur impact environnemental. Chez Zero Waste France, nous déconseillons la fabrication de tote bags : les consommateurs n’en ont plus réellement besoin car ils en ont déjà.

C’est exactement la même chose pour les gourdes, qui sont majoritairement fabriquées en acier inoxydable et proviennent très souvent de Chine.

Enfin, méfions-nous de l’engouement pour les gobelets en plastique donnés à tout va lors d’évènements comme les festivals. Malgré le système de consigne, leur taux retour est encore faible. Chez Zero Waste France, nous incitons les organisateurs d’évènements à utiliser des gobelets neutres afin que les festivaliers soient incités à les ramener plutôt qu’à les garder chez eux.

Q : Quels sont tes conseils pour ne pas tomber dans les mauvais travers du zéro déchet ?

En premier lieu, il s’agit de se rappeler la hiérarchie des 5R, en se demandant d’abord si on a réellement besoin d’un objet, et, si oui, en favorisant la location, le don, l’achat de seconde main ou l’auto-fabrication.

Ensuite, si on achète – et quand c’est possible – privilégions l’achat local et indépendant, par exemple chez un artisan ou magasin de son quartier, ou, si l’on habite à Paris, à la Maison du Zéro Déchet[5] créée par Zero Waste France, dans le 12ème arrondissement. Concrètement, acheter local consiste par exemple à fuir les bee wraps fabriqués hors Europe ou France !

Q : Le mot de la fin ?

Au-delà des dérives du business zéro déchet, ce qui nous préoccupe actuellement, c’est le greenwashing généralisé des marques qui ont compris que la préoccupation environnementale des clients devenait forte. Elles jouent énormément sur les mots, comme la recyclabilité d’un produit, son caractère durable ou zéro déchet… Or, bien souvent, ce n’est que de la communication ! Il n’y a pas du tout de remise en cause du modèle économique, social et environnemental derrière. Nous incitons donc les consommateurs à redoubler de prudence !