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Texte intégral

La lecture de la Convention européenne des droits de l’homme révèle que la médiation ne constitue pas un droit de l’homme. On n’y trouve aucune référence puisque la Convention garantit dans son article 6 § 1 le droit à un tribunal indépendant et impartial qui tranche les contestations portant sur les droits et obligations de caractère civil ou statue en matière pénale. Le médiateur, tiers impartial compétent et diligent, n’est pas investi d’une mission juridictionnelle et la médiation n’entre pas dans le champ des exigences du procès équitable.

Pourtant la médiation préoccupe les institutions du conseil de l’Europe. Il existe de nombreuses incitations au développement de la médiation, à la fois dans des Recommandations du comité des ministres et dans des Lignes directrices élaborées par la Commission européenne pour l’évaluation de la justice. La Cour européenne des droits de l’homme, consciente des avantages de la médiation particulièrement en matière familiale, interprète la Convention de manière dynamique pour en faire un instrument « vivant » adapté aux évolutions des systèmes juridiques : elle sanctionne donc les états qui ne respectent pas leurs obligations positives de mettre en place des processus de médiation. En outre, comme de nombreux états intègrent dans leur législation nationale le recours à la médiation et développent la médiation judiciaire, la conformité de ce processus au procès équitable a été contrôlée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme. Pour prendre la mesure de l’influence du droit du conseil de l’Europe sur la médiation, il faudrait analyser les décisions des juges nationaux, qui sont les premiers juges de la Convention européenne1. Pour les besoins de ce colloque, seuls les instruments législatifs européens et la jurisprudence de la Cour européenne seront envisagés, à travers deux aspects : les incitations développement de la médiation (I) et la conformité du recours à la médiation aux exigences du procès équitable (II).

Afin d’imposer des standards communs d’une justice équitable, la Cour européenne se fonde sur les obligations positives définies par les Recommandations du Comité des ministres, ce qui lui permet de condamner les états qui ne mettent pas en place des mécanismes de médiation familiale.

Les incitations à recourir à des modes amiables ne sont pas nouvelles au sein du Conseil de l’Europe, comme l’attestent les différentes Recommandations du Comité des Ministres.

Sans les détailler, on citera la Recommandation R(86)12 du 16 septembre 1986, encourageant les états membres du Conseil de l’Europe à réduire le flux excessif des demandes en justice en favorisant les modes amiables et la Recommandation Rec(2001)9 du 5 septembre 2001 préconisant le recours aux modes amiables pour les litiges entre administrations et personnes privées.

S’agissant de la médiation en matière civile, la Recommandation Rec (2002)10 sur la médiation en matière civile adoptée le 18 septembre 2002 fait état de la nécessité d’améliorer les méthodes de résolution des litiges en tenant compte des besoins propres à chaque juridiction

Plus particulièrement, en matière familiale la Recommandation R(98)1 sur la médiation familiale du 21 janvier 1998 insiste sur la nécessité qu’il y a à réduire les conflits dans l’intérêt de tous les membres de la famille et à assurer la protection des intérêts supérieurs de l’enfant. Elle incite les états à instituer et promouvoir la médiation familiale, dans l’ensemble des litiges pouvant survenir entre les membres d’une même famille.

Des Lignes directrices visant à améliorer la mise en œuvre des Recommandations existantes concernant la médiation familiale et en matière civile ont été adoptées à Strasbourg le 7 décembre 2007 par la CEPEJ (Commission européenne pour l’évaluation de la justice). Ces lignes directrices insistent sur le rôle des juges et des avocats dans le développement de la médiation, sur la nécessité de mettre en place des dispositifs de médiation de qualité respectant le principe de confidentialité, avec des médiateurs formés obéissant à des codes de conduite. La médiation doit être accessible et d’un coût modéré pour les usagers, et garantir l’accès au juge en cas d’échec par la suspension des délais de prescription. On retrouve dans ces Recommandations les axes majeurs de la directive de 2008 sur la médiation civile et commerciale de l’Union européenne.

Le rapport 2014 de la CEPEJ (Commission européenne pour l’efficacité de la justice) insiste sur le fait qu’une réponse amiable doit être offerte aux citoyens pour améliorer la qualité du système judiciaire. Le groupe de travail de la CEPEJ (GT MED) qui a élaboré les lignes directrices a décidé de reprendre ses travaux. Devant le développement de la médiation judiciaire comme mode de résolution des litiges, la CEPEJ a décidé en décembre 2016 de donner un nouveau mandat au groupe de travail pour 20172 pour : mesurer l’impact des lignes directrices et les mettre à jour, élaborer de nouveaux outils complémentaires pour assurer l’effectivité des Recommandations, et contribuer à la mise en œuvre de programmes de coopération.

La Cour européenne insiste dans de nombreuses décisions sur les avantages de la médiation pour le rétablissement et le maintien des liens familiaux. Ainsi, dans l’affaire Fourkiokis du 16 juin 20163, la Cour note au « § 66. Il apparaît donc que le procureur n’a pas tenu compte du fait que le requérant n’avait pas de contact avec ses enfants depuis plusieurs mois et que l’écoulement de cette période sans contact avait déjà joué et continuerait à jouer un rôle certain dans l’attitude de rejet que les enfants manifestaient vis-à-vis du requérant. Aucune médiation ni autre forme de processus de rapprochement n’ont été mises en place pour aider le requérant et ses enfants à rétablir leur rapport familial, tels qu’une assistance sociale ciblée et/ou un accompagnement thérapeutique d’I.P. ». Elle ajoute que « § 68. La Cour en convient que les mesures judiciaires susmentionnées, à savoir l’action prévue à l’article 950 § 2 du Code de procédure civile, l’instauration d’une responsabilité pénale et la mesure prévue à l’article 1532 du Code civil, ne sont pas nécessairement toujours adaptées à des situations comme celle de l’espèce. Dans des affaires concernant le droit de garde des enfants, l’adéquation d’une mesure se juge à la rapidité de sa mise en œuvre. Lorsque des difficultés apparaissent, dues au refus du parent avec lequel se trouve l’enfant de se soumettre à l’exécution de la décision ordonnant un droit de visite de l’autre parent, des mesures coercitives à l’égard du premier sont rarement souhaitables ou efficaces dans un domaine si délicat. »4. Dans ce domaine, les procédures coercitives sont lentes et difficiles à mettre en œuvre, ce qui risque de priver le parent lésé d’avoir des contacts avec son enfant pendant une longue période, d’avoir un effet délétère sur le psychisme de l’enfant mineur et miner ainsi encore plus le but recherché, à savoir la coopération des parents dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

Dans un arrêt du 6 décembre 2011 Cengiz Kilic c/ Turquie6, à propos d’un divorce contentieux et de conflits relatifs au droit de visite du père de l’enfant, la Cour européenne des droits de l’homme fait expressément référence à la recommandation du Comité des ministres du conseil de l’Europe (Rec [98]1) sur la médiation familiale préconisant le recours à ce mode amiable parce qu’il peut « améliorer la communication entre les membres de la famille, réduire le conflit entre les parties en présence, produire des accords à l’amiable, assurer la continuité des liens personnels entre les parents et les enfants, réduire les coûts financiers et sociaux de la séparation et du divorce pour les parties elles-mêmes et pour les États ». En l’espèce, il est indiqué au § 130 que « tout en admettant que les situations d’inexécution rencontrées en matière d’autorité parentale et de droit de visite et de garde sont particulièrement difficiles à régler par la voie judiciaire, la Cour note l’absence dans le dossier, d’éléments indiquant que le juge des affaires familiales se serait efforcé de concilier les parties dans leurs demandes respectives et qu’il aurait pris des mesures visant à faciliter l’exécution volontaire de décisions de justice ». Elle insiste ensuite sur le fait que dans ces contentieux, « la compréhension et la coopération de l’ensemble des personnes concernées constitue toujours un facteur important, et souvent l’unique solution pacifique adéquate et tenant compte de l’état psychologique de l’enfant. Elle relève à cet égard l’absence de voies de médiation civile dans le système judiciaire national, dont l’existence aurait été souhaitable en tant qu’aide à une telle coopération à l’ensemble des parties au litige ». Cela conduit la Cour à déclarer la violation par l’État de l’article 8 de la Convention qui garantit le droit à une vie familiale. En effet, le droit au respect de la vie familiale, consacré par l’article 8, impose aux États de prendre toutes les mesures nécessaires et adaptées afin de réunir l’enfant et ses parents, en assurant la compréhension et la coopération de l’ensemble des personnes concernées.

Dans l’affaire Lombardo c/ Italie du 29 janvier 20137, la Cour condamne l’Italie à propos de l’inexécution sur une longue période d’une décision ayant octroyé le droit de visite à l’un des parents ; elle se fonde plus particulièrement sur le fait que (§ 93) « dans ces circonstances, la Cour estime que face à pareille situation, les autorités auraient dû prendre des mesures plus directes et plus spécifiques visant à établir du contact entre le requérant et sa fille. En particulier, la médiation des services sociaux aurait dû être utilisée pour encourager les parties à coopérer et celle-ci aurait dû, conformément aux décisions du tribunal, organiser toutes les rencontres entre le requérant et sa fille, y compris celles qui auraient dû se dérouler à Rome. Or les juridictions internes n’ont pris aucune mesure appropriée pour créer pour l’avenir les conditions nécessaires à l’exercice du droit effectif de visite du requérant ». L’organisation d’une médiation familiale effective constitue donc une des obligations positives des États membres, puisque la réponse juridictionnelle se heurte à des difficultés importantes d’exécution.

De nombreux états intègrent la médiation, judicaire et conventionnelle, dans leur système juridique. La Cour européenne a dû rappeler les exigences auxquelles ce processus est soumis afin de respecter les droits garantis, particulièrement le droit d’accès au juge.

La Cour observe : « une telle obligation procédurale ou condition préalable à l’accès direct au juge constituant en substance une limitation à l’accès à un tribunal, la Cour doit vérifier si la manière dont cette limitation a été appliquée en l’espèce a restreint ou réduit l’accès du justiciable au tribunal d’une manière telle que cela a porté atteinte à la substance même du droit ». Elle opère donc un contrôle de proportionnalité sur cette limitation, en appliquant les critères habituels. La poursuite d’un but légitime ne lui paraît pas contestable : la Cour admet que cette restriction à l’accès direct au tribunal poursuit un but légitime qui est d’assurer des économies pour le service de la justice et d’ouvrir la possibilité pour les parties de résoudre leur différend sans l’intervention des tribunaux (§ 46). Ensuite, s’agissant du caractère proportionné de la limitation, la Cour constate que l’irrecevabilité de la demande n’est pas irrémédiable et ne préjudicie pas au droit des requérants de saisir un juge pour obtenir réparation (le processus amiable interrompt le cours de la prescription et, en cas de refus de transaction de la part du procureur, les requérants peuvent former une action en justice devant le tribunal compétent, § 52). En Croatie, la loi de 2003 sur la procédure civile oblige toute personne souhaitant saisir les juridictions civiles pour attaquer la République croate, à solliciter une transaction auprès du parquet compétent à peine d’irrecevabilité de la demande (article 186[a] de la loi sur la procédure civile), sauf en cas de disposition spéciale excluant la procédure amiable. En l’espèce, les requérants, ressortissants croates, avaient saisi les juridictions civiles afin de demander à l’État réparation pour le meurtre de leur fille (cette dernière avait été tuée dans un bar par un soldat de l’armée croate reconnu coupable par la juridiction pénale). Mais leur action avait été rejetée par la Cour suprême au motif qu’ils n’avaient pas cherché à transiger avec les autorités compétentes avant l’introduction de la procédure contentieuse civile. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, les requérants considéraient que la condition imposée par la loi sur la procédure civile constituait une restriction disproportionnée à leur droit d’accès direct un tribunal. Il est vrai qu’en l’espèce ils avaient déjà sollicité une transaction auprès du parquet avant l’introduction de deux instances civiles antérieures, ces dernières ayant été clôturées en raison de leur absence de comparution aux audiences et la Cour observe que les requérants n’avaient pas fait appel des décisions de rejet (§ 48). Il faut ajouter que le droit national prévoit qu’en cas de refus d’accord du procureur, ou de silence durant 3 mois, les requérants peuvent saisir le tribunal compétent de leur demande (§ 53 et art. 186[a] loi de procédure civile). Selon le Gouvernement, l’objectif de la disposition qui institue un règlement amiable préalable à toute demande de réparation formée contre l’État devant la juridiction civile compétente est d’amener les parties à régler leurs différends sans l’intervention des juges et de leur éviter des procédures longues et coûteuses avec pour effet attendu la réduction du nombre des affaires pendantes devant les tribunaux, ce que la Cour reprend dans sa motivation.

Si la règle de principe est conforme au procès équitable, les juges nationaux doivent exercer un contrôle de proportionnalité in concreto : il n’est pas impossible que, dans des circonstances particulières, l’irrecevabilité de la demande soit une sanction disproportionnée et que l’absence de mise en œuvre de la clause de médiation ne puisse pas être sanctionnée.

Il peut y avoir violation du délai raisonnable du procès dès lors que le processus de médiation judiciaire s’est éternisé comme le révèle l’arrêt Nuutinen contre Finlande du 27 juin 20009, à propos d’un contentieux portant sur un droit de visite. En vertu d’une loi de 1975 applicable en Finlande, sur l’exécution des décisions relatives à la garde des enfants et au droit de visite les concernant, une procédure en exécution doit être intentée devant l’exécuteur en chef qui, avant d’ordonner l’exécution, doit nommer une personne désignée par le bureau social ou une autre personne remplissant les conditions requises pour servir de conciliateur entre les parties de sorte que la décision soit exécutée et pour rédiger un rapport. La médiation a pour but d’amener la personne ayant la charge de l’enfant à s’acquitter volontairement de ses obligations prévues par la décision pertinente. La conciliation ne doit pas être ordonnée si des tentatives antérieures montrent qu’elle sera vouée à l’échec ou, dans le cas d’une décision concernant la garde, s’il est de l’intérêt de l’enfant que cette décision soit, pour des raisons sérieuses, exécutée immédiatement (articles 4 et 4 a de la loi). En l’espèce, la fille du requérant avait presque atteint l’âge de sept ans lorsque la procédure prit fin avec la suppression de tout droit de visite, sans que le requérant ait jamais vu sa fille.

Le père invoque devant la Cour européenne la violation de l’article 6 § 1 de la Convention, estimant que le délai de la procédure a excédé une durée raisonnable. Le Gouvernement oppose que le requérant lui-même est en partie responsable du retard : il a attendu quatre mois avant de demander l’exécution du droit de visite qui lui avait été accordé en décembre 1994 et a sollicité un changement de conciliateur au beau milieu du processus de médiation. Mais la Cour sanctionne le défaut de diligences des autorités judiciaires et considère que la durée de la procédure dans son ensemble a dépassé un « délai raisonnable » et conclut qu’il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Lorsqu’un processus de médiation est intégré dans une instance judiciaire, il appartient au juge de veiller à ce que, globalement, le jugement est rendu dans un délai raisonnable (le Code de procédure civile français précise que la durée de la médiation judiciaire est de 3 mois maximum, renouvelable une fois pour une même durée, ce qui limite les risques de violation du délai raisonnable des procès10).