Talk donné à Paris Web, le 26 septembre 2025 par Tamara Sredojevic.

Design validiste : comment rompre les normes systémiques

Bonjour tout le monde. Je m’appelle Tamara Sredojevic, je travaille avec les équipes de la MAIF comme référente en accessibilité numérique et UX designer. Je suis super contente d’être là pour les 20 ans de Paris Web.

Pour fêter ça, je suis venue vous parler d’un sujet... hyper léger à 9h du mat : le design validiste et comment rompre les normes systémiques. Vous en faîtes pas, à la MAIF aussi, y’a eu un moment de flottement quand j’ai donné le titre à mes collègues… Mais ça va aller, vous allez voir. Dans la salle, on est beaucoup à faire de l’accessibilité. J’en connais qui font ça depuis 20 ans. 20 ans, comme le 1er Paris Web, 20 ans, comme la loi du 11 février 2005. Mais y’a encore tellement de choses à faire que c’en est presque décourageant…

Je me demande souvent : pourquoi c’est pas déjà réglé ? C'est devenu une obsession. C'est de ça dont je suis venue vous parler. Mais d'abord, je voudrais prendre la température. Si vous vous reconnaissez dans ce que je dis, levez la main si vous pouvez.

On se croirait dans un jour sans fin avec Bill Murray. Si vous avez pas encore le plaisir de connaître ces frustrations, sachez que l’accessibilité, c’est mal barré dès le départ. On est pris dans une machine infernale qui nous pousse à créer des trucs pas faits pour aider les gens, mais pour le profit. Pour autant, je suis pas venue vous dire que c’est foutu.

J’aimerais que vous repartiez d'ici avec un peu d’espoir, et pas l’envie soudaine d'élever des chèvres dans le Larzac. Déjà parce que le Larzac, il a pas demandé à héberger toute la tech française...

On va avancer en 5 chapitres : le cadrage, pour savoir de quoi on parle. Ensuite les réflexions, comment j'en suis arrivée à me poser ces questions. Après, je vous donnerai des exemples concrets de validisme en société et en design. Ensuite, on regardera les actions qu'on peut mener en dépit du système. Et enfin, mon préféré...

Le design. On terminera sur ce que peut ou devrait être le design.

Pour les petits yeux qui clignent encore en attendant que le café fasse effet, on va faire un point de cadrage. C’est quoi ces normes systémiques, ce validisme...

Les normes systémiques, c’est les règles d’un système auquel on appartient. Très souvent, elles renforcent les inégalités. Par exemple, on valorise le présentiel au travail. Pourquoi ça renforce les inégalités ? Parce que ça pénalise les personnes qui ont du mal à se déplacer ou à rester concentrées quand y'a du monde autour. Le présentiel au travail c'est une attente sociale tellement forte que toute remise en question paraît complètement absurde. C'est systémique. Bon c'est pas la seule hein. Y'a aussi le fait de réduire les coûts au maximum – parce qu’on vit dans une société capitaliste. On voudrait que l'argent tombe du ciel comme si c'était Noël tous les jours. Ça non plus on le remet jamais en question – c'est systémique. Au mieux, on vous dira “ah bah ma p’tite dame c’est comme ça hein !".

Le validisme, c’est quand on priorise les personnes valides au détriment des personnes handicapées. Par exemple, si vous êtes handicapé, on va s’attendre à ce que vous vous adaptiez au système – même s'il vous dessert. On pourrait vous demander de venir au bureau aussi souvent que les autres sous prétexte de “lutter contre votre exclusion”. C'est gentil... Tout le monde ne définit pas forcément le validisme de la même façon. On le confond souvent avec l'handiphobie ou la discrimination. Voire même la goujaterie. Chacun a sa façon de comprendre le sujet, y compris chez les personnes handicapées. J’en connais aussi qui en ont marre de parler de “validisme”. Ces personnes-là, elles ont plutôt envie qu’on traite le manque d’accessibilité. Mais à mon sens, c’est lié. C’est comme quand on parle du sexisme et qu’on réduit ça au harcèlement de rue. Le harcèlement de rue, c'est que le symptôme d’un truc plus large, en l'occurrence du patriarcat. Ouais je vous l'ai dit, je fais dans le léger ce matin. Le manque d'accessibilité, c'est pareil. C'est un symptôme du validisme, d’un système d'oppression envers les personnes handicapées. Un système qui voudrait un monde parfait, sans handicap.

Je sais pas si vous vous souvenez du dessin animé Shrek, avec le royaume de Duloc. Y'avait une petite chanson qui restait vachement bien dans la tête sur le fait que "Duloc est un monde parfait". C'était le fantasme de Lord Farquaad qui avait beau être une petite personne, il rêvait d'être le monarque parfait d'un monde parfait. Pour faire ça, il s'est dit que la meilleure solution c'était de zigouiller toutes les créatures magiques, dont l'âne qui parle, alors que c'est notre personnage préféré. Comme quoi on peut faire du validisme même quand on est concerné, parce que ce sont les codes qu'on vous a donnés en société. C'est ce qu'on appelle le validisme intériorisé. Et personne n'échappe à ce truc.

Moi ce qui m’intéresse c’est de regarder si dans une société validiste, on fait forcément du design validiste. Comment ce système impacte les designers et les expériences des gens qui utilisent nos conceptions ? Et puis, surtout, qu’est-ce qu’on peut y faire ?

Petit à petit, on va dessiner ensemble une carte pour déconstruire le design validiste. Appelez-moi Dora l’exploratrice – vous savez "je suis la carte, je suis la carte...". Il me manque que le sac à dos.