J’aime l’exotisme des prénoms se terminant en A. Je m’appelle Stella, Ana, Eva, Ema, Lisa. J’ai 26 ans, 35 ans, 30 ans. Bientôt, tout ceci sera derrière moi.
J’ai effectué ma dernière livraison rémunérée. A partir de maintenant, je me concentre sur une seule et unique cible. L’étau se resserre mais je dois rester très vigilante. La moindre erreur serait fatale.
Mon ****sac à dos est presque prêt. Enfin partir. Laisser mes “autres” derrière moi : leurs talons, leurs masques, l’apparat, le luxe, les faux-semblants. Partir pour revenir à moi. Pour régler un dernier compte et puis vivre.
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L’Écho Provençal : 2 avril 2024. Découverte exclusive.
Le célèbre marchand d’art, Henri Charles Pasquier, plusieurs fois soupçonné de trafic d’œuvres d’art, vient d’être arrêté à son domicile, proche de Martigues.
Une oeuvre de Degas aurait été découverte dans un coffre dissimulé à l’arrière d’une vieille carcasse de voiture, sur sa propriété. Selon une source proche de l’enquête, Pasquier nie en être le propriétaire, malgré une empreinte très visible sur le cadre de la toile.
Ana St James, une jeune collaboratrice de sa galerie parisienne, se dit choquée.
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Aujourd’hui, Ana a enfin été écartée de la liste des suspects dans l’affaire du Degas. Comment cette idiote aurait-elle pu être mouillée ? Cela saute aux yeux de tous qu’elle n’a pas été embauchée pour la brillance de son esprit.
Son carré long, ses jupes longues de type “Marie-dans-la-prairie” et ses ballerines plates ont disparu. Eparpillés dans diverses recycleries de la région parisienne.
Plus rien ne reste d’elle qu’un adieu émouvant à sa concierge : “Je suis trop choquée Madame Berthe ; je m’en retourne chez mes parents”.
Je prépare mon voyage. D’abord le train jusqu’à Marseille. Puis j’embarquerai sur le Tusitala. Mon petit voilier me conduira, au gré du vent, entre les îles de la mer Tyrrhénienne. Je commencerai par la Corse. Puis je terminerai par la pointe de la botte italienne : la Sicile. Ensuite, je voyagerai en bus et en train jusqu’à Berlin. Après, si tout va bien, je retournerai à Toulon.
Tout quitter pour partir en Europe, ce n’est pas très exotique, me direz-vous ! Les voyageurs ordinaires commencent souvent leurs tours du monde par l’Amérique latine ou l’Asie. C’est qu’ils recherchent un dépaysement rapide, radical et immédiat. Quelques heures d’avion et hop, on change d’atmosphère.
Pour ma part, J’aime l’idée de prendre mon temps, dans le sens du vent mais à contre-courant. Pour l’exotisme, j’ai de quoi faire dans mon frigo : encore quelques cuillères de sorbet fruits exotiques et je lève le camp.
Quand on voyage seulement avec un sac à dos, mieux vaut être pragmatique. J’ai pris quelques vêtements double emploi, comme la petite robe noire. Elle est parfaite en nuisette et tout à fait acceptable pour sortir. Pour les jumelles, j’ai longuement réfléchi. Ma paire est fabriquée sur mesure, avec l’option de vision nocturne supergen cachée dans une petite paire de jumelles passe-partout. Les images sont très claires et la portée exceptionnelle. La dernière fois qu’elles ont servi, Eva surveillait les malversations d’un magnat des médias, à l’abris des regards (pensait-il), dans sa loge d’opéra.
Je prends les jumelles. Dorénavant, elles serviront à observer de vrais rapaces dans leur environnement naturel. Je compte aussi me rendre à La Scala de Milan pour assister à un ballet. Casse-Noisette peut être ou le lac des cygnes, en juillet.