Ce matin de juin 2022, j’ai rendez-vous à la Ménagerie du Jardin des Plantes de Paris pour rencontrer les équipes et les participant·e·s du Comité de Science-Fiction (CSF). Au milieu des animaux qui se réveillent de leur nuit, je suis accueillie par la chercheuse Anne-Caroline Prévot, initiatrice et responsable de ce projet hors-norme porté par l’Institut de la Transition Environnementale. Après plusieurs jours de résidence artistique et scientifique, tout le monde s’active pour finaliser les performances et les œuvres qu’ils présenteront au public ce soir à la Cité Fertile de Pantin. Certaines, adossées à un pilier, répètent leur texte, d’autres relisent des pages du Nausicaä de Miyazaki pour chercher une dernière inspiration, tandis qu’un groupe mêle danse improvisée, chant choral et lecture de texte dans une autre salle. Pourtant, dans cette effervescence, les encadrant·e·s, les étudiant·e·s et les artistes prennent le temps d’échanger avec moi et de me raconter ce qu’ils vivent ici. Car c’est bien cela la philosophie du CSF : prendre le temps de faire ensemble.

Faire dialoguer Art et Science

Décloisonner les imaginaires, sortir du cadre

Explorer des trajectoires pour le futur par le récit

Servir la transition environnementale : le problème de l’impact

Travailler avec des artistes

La valeur du collectif

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Faire dialoguer Art et Science

      Depuis 2018, le Comité de Science-Fiction réunit chaque année des étudiant·e·s et des artistes pour imaginer des mondes futurs qui explorent la soutenabilité du monde et posent des questions de recherche. Chaque saison tourne autour d’un thème en lien avec la transition environnementale : cette année c’est « Réensauvager le futur ? ». L’originalité du projet réside – entre autres choses – dans la manière dont l’art et la science sont mis en dialogue : tout au long de l’année, les participant·e·s assistent à des séminaires scientifiques en lien avec le thème, puis ils et elles sont accompagné·e·s par des artistes lors d’une résidence pour créer des oeuvres fictionnelles inspirées par ces savoirs.

      L’enjeu est double : d’un côté les sciences (sciences du vivant et sciences humaines et sociales surtout) permettent de comprendre les défis de la crise environnementale à des échelles de temps et d’espace qu’on ne peut pas connaître autrement. De l’autre, les ateliers artistiques aident à sortir du cadre scientifique pour inscrire ces enjeux dans des objets et des expériences tangibles.

      Anne-Caroline Prévot, directrice de recherche au CNRS et chercheuse au Muséum d'histoire naturelle, m’explique les deux constats à l’origine du projet. Le premier est que **les trajectoires et les modes de pensée proposés par la rationalité scientifique « ne permettent pas aujourd’hui de répondre aux problèmes posés par la crise environnementale et d’envisager le développement durable de la vie sur Terre »**. Le deuxième constat est que la science-fiction *mainstream* « est très limitée quand il s’agit de raconter autrement la nature et la biodiversité ». La science-fiction, l’art qui nous donne à voir des mondes futurs possibles, peine à s’inscrire dans les enjeux écologiques contemporains : « C’est normal que les artistes ne connaissent pas l’ampleur et la complexité de ces problèmes », affirme Anne-Caroline.

Décloisonner les imaginaires, sortir du cadre

      À partir de ces constats, le but du CSF est simple, mais pas facile : créer, avec des méthodes artistiques, des imaginaires du futur appuyés sur des connaissances scientifiques, pour inventer de nouvelles trajectoires. Pour que les trajectoires soient effectivement *nouvelles*, qu’elles apportent des transformations, il faut « décloisonner les imaginaires ». Anne-Caroline précise : l’art n’est pas indispensable pour décloisonner les imaginaires, mais il apporte autre chose. Voir et faire de l’art, ça ouvre les émotions, l’empathie, ça engendre des compétences et des caractéristiques que la science n’ouvre pas, car tout n’est pas rationnel. L’art et la science sont complémentaires parce que nous sommes des êtres humains complets et complexes. »

      Toute la difficulté pour l’équipe est d’offrir aux étudiant·e·s une acculturation scientifique, puis de les accompagner pour sortir du cadre scientifique : « Il faut trouver des méthodes pour guider les gens à casser, à s’affranchir de leurs codes », explique Anne-Caroline. Pour cela, un premier pas est d’amener différemment les connaissances scientifiques. Félix, un participant, se rappelle que « les séminaires, même scientifiques, étaient surtout des moments de découverte, très ouverts et pédagogiques. Ça change ! ». Les séminaires eux-mêmes sont tournés vers le partage d’expérience et la discussion, permettant à ce doctorant de « s’ouvrir à un autre aspect de la science, propice à l’invention ».

Page issue du Cahier du CSF OO2

Page issue du Cahier du CSF OO2

      Un autre pas à faire pour décloisonner les imaginaires est de s’engager dans l’expérimentation, sans savoir ce qui va en sortir. Les étudiant·e·s n’ont pas de contrainte de plausibilité, ni de désirabilité des futurs imaginés. **L’objectif n’est pas de *trouver* des futurs qui adviendront, mais d’*ouvrir* l’esprit et le corps à des possibilités insoupçonnées**, d’être prêts à être surpris par soi-même, par les autres, et par le vivant. L’imagination est maîtresse : « Travailler sur l’art et l’imagination est primordial, il faut sortir du côté prospectif d’anticipation du futur », affirme Anne-Caroline. La responsable du CSF précise : 

« Quand on imagine des futurs en sortant des cadres scientifiques, on a plus de liberté pour inventer des mondes bizarres. L'idée était de créer un environnement propice à l’expérimentation. »

Ici, bizarre n’est pas un gros mot. Selon la définition du CNRTL, c’est « ce qui s’écarte de l’ordre habituel », ce dont on a besoin pour proposer de nouveaux chemins civilisationnels pour le futur.

      Le cadre scientifique n’est pas le seul dont il faut s’affranchir. Laurent Kloetzer, romancier de science-fiction et artiste encadrant du CSF, a créé avec d’autres auteurs et autrices le [collectif Zanzibar](<https://www.zanzibar.zone/>) pour *désincarcérer le futur* et se le réapproprier collectivement :