Interview de Yohan Lopez (snowball)

Interview Valentin


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Nouvelles économies de l'information et des médias, de la PQR à Substack.

Introduction

Ces derniers mois, le nom de Substack m'apparaît de manière extrêmement régulière. Il ne se passe pas une semaine durant sans que l'entreprise américaine soit citée dans les médias que j’apprécie. Fournissant une plateforme de newsletter, elle s'est vendue aux créateurs avec la promesse d'être le moyen le plus pérenne pour diffuser numériquement son contenu et en récolter les fruits. Substack est l'étendard de ce que les anglo-saxons nomment la "creator economy". Le changement de paradigme qu'apporte avec elle cette nouvelle ruée vers l'or se mesure à l'aune de la désagrégation des modèles d'affaires qui ont façonné la presse et les médias traditionnels. L'écriture de cet article a été motivée par l'envie personnelle de comprendre comment les modèles d'affaires des canaux d'informations traditionnels ont été modifiés au cours des dix dernières années et comment cela à permis l'émergence de nouveaux acteurs qui tendent à façonner un nouvel écosystème médiatique.

Printer in 1568-ce‧png|thumb|L'atelier de Joost Amman en 1568.

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(Cet article s'intéresse particulièrement à la question de l'information et de la presse et ne s'étend pas aux champs de la création de contenus liés à l'image comme la télévision, ou les univers liés au jeu vidéo, cela fera probablement l'objet d'un prochain article)

Pour enrichir le contenu de cet article j'ai mené trois discussions avec des personnes qui gravitent autour du thème du journalisme et de l'écriture. Ces trois experts sont : Lola Cros, la fondatrice de Finta! ; Yoann Lopez, le fondateur de Snowball et Valentin Decker le fondateur de Sauce Writing. Je tiens tous les trois à les remercier pour le temps qu'ils m'ont accordé.

De l’hebdomadaire papier aux pure-players, évolution des modèles d'affaire de la presse.

Internet nouvelle génération: une nouvelle bataille.

Au tournant des années 2000, une expression voit le jour pour décrire l'émergence des architectures supportant la participation sur internet : le WEB 2.0. Avec elle les plateformes et les sites participatifs voient le jour renforçant l'attractivité de la toile. La démocratisation de ce "nouvel internet" est corrélée à l'adoption massive dans les foyers, d'ordinateurs personnels : le nombre d'usagers croît de manière exponentielle. De nouvelles habitudes d'usage et de consommation s'ancrant dans nos quotidiens. Elles sont portées par des acteurs privés et par les nouveaux services qu'ils délivrent aux internautes en un temps record. La vitesse est peut-être la notion la plus bouleversée par Internet. L'information circule plus vite, avec moins d’intermédiaires (de pair à pair) redéfinissant les standards qui régissent les canaux de distribution de l'information depuis plusieurs siècles (1 émetteur pour X receveurs : une audience). Pourtant, les médias traditionnels ne vont pas se saisir de "l’opportunité" qui se présente à eux tout de suite, comme le décrivent Inna Lyubareva et Fabrice Rochelandet dans leur étude Evolution of the Business Models in Creative Industries: A Study of the French Online Press (p. 123-157) :

Durant cette période,[N.D.L.R; de 2004 à 2014] de nombreux événements et de multiples transformations ont fait évoluer les stratégies d’affaires des acteurs les faisant évoluer progressivement de la presse écrite à l’information en ligne (Rebillard, 2012). Outre la création de nouveaux services et de fonctionnalités inédites suite à l’apparition des outils du Web 2.0 à partir de 2004, on peut mentionner l’entrée sur le marché de l’information des pure players autour de 2007-2008 ; les effets négatifs de la crise de 2008 sur la profitabilité des journaux et magazines (notamment à travers le tassement des revenus publicitaires en provenance des annonceurs) ; la réforme en 2009 de la loi française sur le statut d’éditeur d’informations ; et finalement l’utilisation massive de terminaux mobiles comme les smartphones et les tablettes pour accéder à l’information.

Le passage au numérique ne se fait pas dans la douceur pour tous. À partir de 2004, les médias entrent dans une phase d'exploration périlleuse. Dès 2010, sous l'injonction de renouer avec un lectorat évaporé (et des annonceurs en situation de vache maigre), ils s'essayent à des solutions variées. Ils ouvrent des comptes sur les réseaux sociaux, créent des sites internet, des flux RSS, des newsletters, des plateformes de lecteurs proposant une diversité de formats et faisant cohabiter différents modèles économiques pour une même source d'information. De ce fait ils multiplient les points de confrontation avec d'autres modèles d'affaire en lignes (Blog, Réseaux sociaux, Pure Players, Flux RSS, Podcasts). Comme quoi, la captation du "temps de cerveau disponible" était déjà un enjeu de premier plan dès les années 2000 bien avant que Tristan Harris, ex-directeur du design éthique de Google (oxymores?), et les autres n'en fassent un business.

L'exemple de la PQR, antichambre des mutations nationales

Pour comprendre plus finement l'impact réel de ces nouvelles habitudes de consommation de l'information sur une rédaction, je me suis intéressé à un échelon plus local, et manifestement plus fragile : La presse quotidienne régionale (PQR). Mise en danger par l’émergence de jeunes concurrents féroces, elle s'est jetée à corps perdu dans une transformation de son offre. Contrairement aux grands médias nationaux — protégés par un lectorat paynt large (abonnés) et des ventes en kiosques préservées grâce à un auditoire majoritairement métropolitain ayant facilement accès à des lieux de vente de presse — la presse des villes moyennes et des campagnes à vu ses recettes chuter drastiquement. Pour construire ce passage de l'article je me suis entretenu avec Lola Cros. Elle connaît bien la PQR pour y avoir travaillé pendant plus de huit ans. Dans l'interview qu'elle m'a accordée, elle détaille la machine infernale qui à conduit la PQR à voir ses recettes s'étioler et son contenu s’appauvrir. Cédant aux sirènes des réseaux sociaux sous le poids d'une injonction sociale à la modernité (qu'en vérité personne n'a véritablement exprimée, hormis quelques politiques douteux), la PQR a ouvert des comptes Facebook, créé des sites internet d'information, des applications et tout ce qu'il était possible d'ouvrir comme voies pour rester au contact de ses lecteurs. Dans la création de son réseau de distribution tentaculaire elle s'est vite retrouvée à jouer avec des acteurs n'ayant pas les mêmes règles qu'elle. Sur Facebook, les news arrivent à la minute, de toutes sources, en flux ininterrompu. Au lieu de déclarer un salutaire abandon dans la course à l'information, la PQR s'est entêtée à continuer à fournir de la news tiède à ses lecteurs : pas assez rapide pour concurrencer les Pure Players et médias des plateformes et pas assez profonde pour se démarquer de ce même contenu. Ne trouvant plus vraiment d'intérêt à suivre ces news tièdes, les lecteurs ont déserté la PQR, lui préférant un souvenir de presse du dimanche où l'on croise entre les pages son cousin ou ses amis. Seuls sont restés les petits vieux et vieilles, éternels fidèles, pour qui changer n'aurait plus de sens dans ce mariage presque centenaire. Mais ce lectorat n'est pas éternel. Les annonceurs comprenant vite que le retour sur investissements de leur publicité n'est plus aussi bon qu'au temps où chaque foyer recevait le canard du coin. Ils se mirent à déserter petit à petit, préférant Facebook Ads aux dernières de couverture. Dans cette spirale sournoise, ceux qui en subirent les effets les plus directs furent les journalistes eux-mêmes. Obligés de faire du multitâche pour un multimédia qu'ils n'avaient pas vraiment souhaité. Ils se sont vus raccourcir les délais dédiés à la préparation des sujets au profit d'un temps de mise au format plus grand. Les rédactions modestes n'ont pas toutes les moyens ni la structure pour accueillir des personnes chargées de s'occuper des réseaux sociaux. Lassés de voir leur métier dévoyé certains ont fait le choix de quitter les bureaux de la PQR (et des médias nationaux) pour se lancer dans d'autres aventures. D'autres ont même changé de métier.

En véritable laboratoire des mutations qui sont advenues à la presse européenne de manière globale, la PQR et ses transformations permettent de comprendre l'état dans lequel se trouve aujourd’hui l'univers médiatique. Créer un grand média de nos jours semble moins facile qu'il y a trente ans. La pluralité des expressions qui doivent être adoptées par ce dernier est proportionnelle au nombre de canaux sur lesquels le média se trouve. L'adaptation de ton, de format et de rythme n'en est que plus grande. Pourtant, il me semble aussi qu'il n'a jamais été aussi simple de publier ses idées. L'autonomie et l'aisance des créateurs indépendants tranche avec la lourdeur nécessaire des structures médiatiques viables.

Autonomisation et outillage des créateurs de contenu. Rockstarisation, mise en plateformes (UGC) et situation précaire des créateurs.