Je m’appelle Nelly. Je suis pet-sitter au Texas. Je garde des animaux de compagnie, quand leurs maîtres sont absents.
Aujourd’hui, je pars à la rencontre de Linda, une joyeuse retraitée qui doit s’absenter quelques jours sans sa chienne, Rosie. Je fais toujours un 1er RDV pour instaurer un climat de confiance et pour m’assurer d’un feeling réciproque avec l’animal et le maître.
Linda et Rosie habitent à 4 arrêts de bus de chez moi.
A peine la porte ouverte la chienne vient me voir, me renifle et remue la queue avec intérêt. C’est une vieille fox-terrier avec une bonne bouille et un “léger” embonpoint. Après quelques minutes de léchouilles, Linda me confirme que sa chienne me valide. Comme cela commence bien, je propose de sortir Rosie, seule, autour du pâté de maison, histoire d’instaurer une 1ère expérience rassurante, dans des lieux connus.
A quelques mètres de la maison, alors que je flatte la chienne, qui s’arrête à tous les coins de jardins pour marquer son territoire, je stoppe net. Mon regard est happé par la voiture d’un rouge sale, garée sur le trottoir d’en face, sur la place privée d’un bâtiment que je ne connais pas et dans lequel je ne connais personne. Cette vieille Ford sport est celle de mon mari, John, j’en suis certaine. Je bugge. Ce ne peut pas être SA voiture.
Comment serait-ce possible ? Mon mari m’a appelée hier soir, comme à son habitude. Il était parti à 7h, comme à chaque fois qu’il part en tournée. Il est commercial pour une start-up de Dallas. Il part toutes les 5 semaines, visiter les clients de son secteur, sur la côte du Golfe. Il m’a même précisé qu’il avait fait bonne route, mis à part un contrôle de la border patrol entre Laredo et San Antonio. Ce contrôle l’avait mis en retard. A part ça, rien de spécial. Il ne m’a signalé aucun problème de voiture qui l’aurait poussé à la laisser à un collègue, ici. Rien.
Tout est donc normal. John et sa voiture se trouvent à des centaines de kilomètres d’ici.
“Tout est normal ; ce n’est pas sa voiture”. “Tout est normal ; ce n’est pas sa voiture”. Je me répète cette phrase en boucle, les yeux rivés sur le trottoir d’en face. J’observe les filets d’un stade en retrait, derrière la haie, le mur du bâtiment, le jardinet avec véranda de l’appartement du RDC, son parterre de fleurs et son nain de jardin au chapeau rouge caractéristique. Tout est normal //J’inspire difficilement, je souffle// … “viens le chien, on va traverser la route, pour voir cela de plus près et on pourra reprendre notre promenade normalement”.
On traverse la rue. Personne n’est en vue. Je colle mon front à la lunette arrière, une main en visière au-dessus de mes sourcils pour mieux voir l’intérieur du véhicule. Mon autre main tient la laisse du chien, qui ne bouge pas, affairé à renifler le pneu droit. Je plonge mon regard dans le coffre, qui n’a plus sa plage arrière. Je repère immédiatement la chemise de secours de John. Cette chemise, il la conserve dans son coffre depuis qu’un jour, il a dû nettoyer une tache en urgence, dans les toilettes d’une station service, juste avant un RDV client. C’est une chemise à carreaux rose, aux boutons de manchettes en forme de micro. Je colle mes 2 mains sur la vitre car je distingue quelque chose, juste à côté… Je n’en crois pas mes yeux : c’est la semelle rouge d’un escarpin.
Je tangue, je manque d’air, comme si on m’avait giflée. Choquée, je lève la tête, comme au ralenti. C’est là que je remarque que le nain est exhibitionniste. Un nain en plâtre, avec un bonnet rouge, me montre sa stouquette et semble me dire : “La poule de ton mari porte des Louboutins !”.
Saloperie de nain !
Je veux en avoir le coeur net, j’appelle John (on va voir ce qu’on va voir). A ce moment-là, une grande femme, aux jambes magnifiques, chaussées de talons hauts, sort dans le jardin. Je repère direct ses Louboutins ! 3 sonneries passent. John décroche quand Miss Louboutin retourne à l'intérieur.
John répond égal à lui-même : “Ah Chérie, ça va ? Je suis sur le point d’entrer en RDV. » Je ne sais plus quoi dire. A ce moment la fille ressort dans sa véranda, elle aussi est au téléphone. Je la vois éloigner son téléphone de sa tête au moment où j’entends une femme dire à mon mari « Quentin va vous recevoir, si vous voulez bien me suivre ». La fille de la véranda rapproche son téléphone et mon mari m’annonce « Chérie je dois y aller, je t’appelle ce soir ». Je balbutie un vague ok. J’entends une porte coulisser lorsqu’il me souhaite une bonne après-midi.
En raccrochant, je vois la femme aux louboutins, fermer la porte coulissante de sa véranda, ranger son téléphone et sortir dans son jardin.