Le lendemain, après un petit déjeuner et un dernier au revoir à l'équipe de Bindi International, nous sommes conduits à 7km, sur le campus originel de Barefoot College à Tilonia, qui héberge le projet initial SWRC (Social Work & Research Center). Dès notre arrivée, le responsable du campus nous accueille et nous aide à nous installer ainsi qu'à programmer une visite du campus. Rapidement, Jaswanth, notre contact sur place nous rejoint et nous propose de se voir dans l'après-midi. Ici à la différence de Bindi International, nous rencontrons des personnes qui vivent et/ou travaillent sur le campus depuis 20, 30, 40 ans. Ce qui revient le plus dans la manière dont les gens nous présentent ce qu'ils font, c'est le pouvoir qui a été donné aux communautés locales pour résoudre leurs propres problèmes. Chacun peut se former avec les autres et trouver des solutions adaptées et les mettre en œuvre : "for the poor, by the poor". Les histoires des uns et des autres, qui ont appris ici un métier et sont au service du développement de la communauté, l'illustrent.

Ramniwas nous présente les "puppets", les marionnettes en papier mâché de Barefoot College qui sont utilisées de manière ludique pour des spectacles et de la sensibilisation auprès des villageois sur différents sujets. Il est un inconditionnel de l’organisation et nous parle de Bunker Roy en des termes très élogieux et avec une grande reconnaissance.

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Les marionnettes permettent de mettre en scène des situations, de les mettre à distance et ainsi de passer des messages de manière efficace et drôle voire de résoudre des conflits. Un effet cathartique comme dans le théâtre grec classique, pourrait-on dire pour trouver un point de comparaison européen. Même Bunker Roy a une marionnette à son effigie (photo à droite), ainsi que le Premier ministre Narendra Modi. Pour Ramnivas, comme il l’explique dans la petite vidéo ci-dessous, il ne s’agit pas que d’art et de tradition. C’est d’abord une action sociale.

“Grâce à cet art, nous pouvons faire entendre notre voix sur des enjeux sociaux et contribuer à apporter des changements dans notre société.”

https://youtu.be/5KiGOwt4bYg

Aarti nous fait ensuite visiter les différentes parties du campus construit par les habitants de Tilonia qui regroupe : des ateliers d'upcycling du papier, de tissage, de sculpture de jouets et objets en bois, une pépinière (le collège est très vert et plein d'arbres plantés il y a déjà plusieurs décennies), une petite unité de tri des déchets et traitement/compostage des déchets organiques, une bibliothèque, un magasin de vente de lait. Des pompes à eau manuelles émaillent tout le campus et on trouve même une petite unité de méthanisation à partir des bouses de vaches. Celle-ci alimente la cuisine/cantine en gaz, et ce en circuit ultra-court.

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Aarti nous fait également visiter le studio d’enregistrement de leur radio locale. Barefoot College diffuse tous les jours des informations à la population et des émissions de sensibilisations à différents sujets. C’est un levier essentiel pour faire connaître leurs droits aux habitants en leur parlant des lois et réglementations qui les concernent. Aarti s’installe dans le studio recouvert de boîtes d’oeufs en guise d’isolation acoustique et on voit tout de suite que c’est son espace : un grand sourire se dessine sur son visage alors qu’elle nous raconte fièrement le programme des émissions passées et à venir.

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Nous visitons également le campus originel qui a été adapté mais était initialement les anciens bâtiments d’une mission chrétienne au Rajasthan. Nous découvrons un autre programme appelé “Enriche” mais ici, il s’agit d’un atelier de confection textile et notamment de confection de serviettes hygiéniques. C’est essentiel de pouvoir fournir ce genre de produits d’hygiène à faible coût aux jeunes filles pour s’assurer qu’elles restent à l’école plus longtemps. Nous “re”-découvrons la salle de formation pour les ingénieures solaires qui présente les mêmes matériaux, méthodes et livres que précédemment vu sur le campus de Bindi International. La plus grande similarité entre les deux endroits tient justement au programme Solar Mamas et à la formation pour que des femmes illettrées du monde entier puissent devenir des "solar engineers". C'est le programme qui a rendu Barefoot College connu dans le monde et qui a notamment permis une ouverture de la formation à des femmes de différentes parties de l'Inde et de différents pays.

Petit à petit, rencontre après rencontre et dans l'ambiance feutrée et tranquille du campus de Tilonia, nous nous rendons compte avec Félix que quelque chose se passe ici, quelque chose d'assez indicible mais qu'on résume entre nous ainsi : "on se sent bien". On voit bien que le campus n'est pas à son plein potentiel, notamment en termes d'accueil, comparé à sa capacité. Jaswanth nous confirme d'ailleurs que depuis le COVID, les gens, notamment les bénévoles, ne sont pas vraiment revenus. Indépendamment du départ d'une partie de l'équipe côté Bindi International (entre 50 et 60 personnes sur un effectif total de 200), il est vrai que l'Inde n'a suspendu ses restrictions pour les étrangers entrant sur le territoire que depuis fin novembre 2022.

Toujours est-il que ce lieu est vraiment accueillant et beau. L'architecture fait penser à un ashram, avec ses murs blancs et ses designs épurés. Mais il ne faut pas s'y tromper : à la différence de beaucoup d'endroits en Inde, le campus ne présente aucun signe religieux et ne promeut aucun discours spirituel en lien avec ses actions. La seule vision qui sous-tend les actions de Barefoot College, c'est une vision du développement par et pour les habitants des villages ruraux, pour leur permettre de trouver leurs réponses à la pauvreté et leurs voies de "développement" (si tant est que ce mot soit le bon... dans le cas de Barefoot College, il vaut certainement mieux parler d'autonomie et de prospérité).

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